Par Claire Tervé, Huffpost 18/06/2019 04:13
PRÉSIDENTIELLE 2020 – Un second mandat, sans retour en arrière. Donald Trump doit annoncer, sans grand suspense, le lancement de sa campagne pour un second mandat, ce mardi 18 juin depuis la Floride. Le président américain, qui a eu 73 ans le 14 juin, dit régulièrement son impatience d’en découdre, de replonger dans la bataille électorale pour l’élection de 2020.
Si beaucoup veulent croire qu’il a peu de chances d’être réélu à cause des scandales qu’il traîne -notamment avec la Russie- et l’échec de son parti lors des élections de mi-mandat, plusieurs facteurs laissent à penser qu’il a toutes les chances de l’emporter.
Même si Trump a de nombreux détracteurs, il ne faut pas oublier qu’il a aussi une base électorale solide. Le fait est qu’il a été élu en 2016 avec un programme très conservateur qu’il met un point d’honneur à respecter. Un élément qui pourrait encourager les électeurs républicains à se mobiliser pour lui. Autre argument qu’il pourra brandir, les chiffres d’une économie désormais florissante. D’autres éléments sont à prendre en considération: les impôts ont baissé et la nation est “en paix”, puisque le locataire de la Maison Blanche a réduit au minimum la présence de son armée dans les pays sous tension. Enfin, d’un point de vue historique, il est très rare que les électeurs empêchent un président sortant de faire un deuxième mandat.
Et si tel est le cas pour Trump, plusieurs décisions cruciales qu’il aura prises seront alors irréversibles, ont expliqué au HuffPost Jean-Eric Braana, spécialiste des États-Unis et Donald Cuccioletta, expert en politique américaine basé à Montréal.
Ce qui ne pourra plus (ou presque) changer
Les “four more years” ne semblent donc pas inatteignables pour Donald Trump, ce qui lui permettrait de poursuivre et raffermir ses positions, quitte à rendre irréversibles certaines conséquences de ses choix.
“Il va solidifier ses positions, aller encore plus loin dans ses objectifs tels que la construction du mur, la guerre commerciale avec la Chine qui finira par devenir une guerre militaire à terme, ou encore la solidification des relations avec la Corée du Nord qui donnera à cette dernière une plus grande importance”, nous explique Donald Cuccioletta.
Et trois autres secteurs subiraient des effets irréversibles.
Le climat
Les conséquences de la politique climatique de Trump et le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris vont peser encore davantage sur le climat. “C’est désastreux, le temps que les États-Unis ne passent pas à se soucier du climat et à contrôler leur consommation de CO2 n’est pas rattrapable. Le temps est compté, le réchauffement climatique fait déjà des ravages, et s’il est réélu, ce temps perdu le sera définitivement”, déplore Jean-Eric Braana.
En effet, si Donald Trump gouverne quatre ans de plus, il faudra attendre 2025 pour voir la plus grande puissance mondiale agir contre ses émissions de CO2 (à condition que son successeur s’y attelle). Selon le Global Carbon Project, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, si la “décarbonisation” avait commencé à l’échelle mondiale en 2000, une réduction des émissions d’environ 2% par an aurait été suffisante pour rester en dessous de 2 degrés Celsius de réchauffement. Aujourd’hui, il faudrait environ 5% par an et si nous attendons une autre décennie, ce sera environ 9%.
De plus, selon le GCP, pour avoir une chance de maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5 degrés Celsius -objectif de l’Accord de Paris sur le climat- il faudrait que d’ici 2030, les émissions de CO2 chutent d’environ 45% par rapport aux niveaux de 2010. Malheureusement, au lieu de diminuer, elles sont en hausse. Ce n’est donc pas gagné.
La course à l’armement
″‘La guerre règle tous les problèmes’. C’est la façon de penser de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Trump. Et ce dernier a décidé de prendre cette phrase pour argent comptant. Il vient de lancer une course à l’armement qu’il sera impossible d’arrêter”, regrette Donald Cuccioletta.
En effet, selon lui, les attaques du président contre les alliances des États-Unis et le retrait unilatéral des traités de contrôle des armements ont rendu le monde beaucoup plus dangereux. “Nous sommes dans une période très peu sécurisante et sous tension”, assure le spécialiste. Car, après avoir sorti les États-Unis de l’accord nucléaire iranien -portant ainsi gravement atteinte à la réputation des USA en tant qu’allié et partenaire de négociation-, Trump n’a pas réussi à prendre le dessus dans sa relation avec la Corée du Nord (qui est aujourd’hui plus ou moins au point mort). Il laisse ainsi Kim Jong-Un sans contrôle et avec une position internationale plus forte car il n’a pas plié face à la grande puissance.
“S’il est réélu, plusieurs pays pourront choisir de se doter d’armes nucléaires, en particulier ceux situés dans des régions qui ont eu recours aux garanties de sécurité américaines, telles que le Moyen-Orient et l’Asie du Nord-Est”, note The Atlantic. Un scénario qui signerait l’arrêt de mort du régime mondial de non-prolifération que les États-Unis et L’UE avaient réussi à mettre en place.
“Le Brésil est en train de se doter de l’arme nucléaire avec l’aide de Trump également”, confie Donald Cuccioletta. Et une fois qu’un pays est doté de l’arme atomique, il est trop tard pour revenir en arrière.
L’équilibre de la Cour suprême
Donald Trump a placé deux juges conservateurs à la Cour suprême: Neil Gorsuch, anti-IVG, pro-armes et pro-peine de mort, et le controversé Brett Kavanaugh. L’arrivée de ce dernier a placé les juges progressistes -quatre sur neuf- en minorité pour de nombreuses années.
Lors de ce deuxième potentiel mandat, ce déséquilibre pourrait encore s’aggraver: la doyenne de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, 86 ans et atteinte d’un cancer, a promis de tenir jusqu’à la fin du premier mandat de Trump… Mais il est peu probable qu’elle soit là pour quatre années de plus.
Si elle venait à décéder, l’institution perdrait une grande juge progressiste démocrate et le président pourrait placer un troisième juge conservateur, scellant ainsi pour de très nombreuses années l’avancée des conservateurs. À noter également que le juge démocrate Stephen Breyer aura 82 ans en 2020, “mais il est encore en bonne forme, donc je pense qu’il sera là pour un éventuel second mandat”, estime Donald Cuccioletta.
Cela ne sera pas sans conséquences, notamment pour les droits des femmes. On l’a vu, ces dernières semaines, plusieurs États américains ont adopté des mesures ultra-restrictives sur l’IVG. Leur objectif: obliger la Cour suprême à revoir sa jurisprudence de 1973, contenue dans l’arrêt “Roe v. Wade”, fixant la constitutionnalité du droit à l’avortement. Une hypothèse tout à fait plausible avec une Cour suprême majoritairement conservatrice.
La “toute puissance” de Trump
Grâce aux deux juges qu’il a pu placer à la Cour suprême, Donald Trump a davantage le champ pour agir. Toutefois, depuis 2018, il n’a pu réellement faire passer de nouvelles lois car il a perdu la chambre des Représentants lors des élections de la mi-mandat. Il utilise donc les décrets pour pouvoir agir. Il n’est toutefois pas impossible qu’il récupère cette chambre lors des élections qui suivront la présidentielle de 2020.
“Mais il ne faut pas se voiler la face, selon Donald Cuccioletta, même s’il ne la récupère pas, il ne faut pas oublier que la chambre des Représentants, à majorité Démocrate, comporte aussi en son sein des conservateurs qui peuvent être enclins à accepter certaines lois que proposera Trump. Il n’a peut-être plus autant le champ libre qu’avant, mais cela ne l’empêchera pas de faire passer des lois conservatrices”.
L’expert pense notamment à la lutte acharnée contre l’avortement, ou encore les restrictions visant la communauté LGBTQ, en particulier contre les personnes Trans.
“Il faut se dire aussi que s’il est réélu, Donald Trump sera tout puissant. Il aura prouvé d’une part que son élection en 2016 n’était pas une erreur et d’autre part que les Américains veulent la politique qu’il propose. Ensuite, sa victoire remettra en cause le parti démocrate de l’intérieur. Le parti va imploser face aux dissensions internes, chacun se rejetant la faute sur l’autre. Ce sera une période très difficile pour la politique américaine”, conclut pour sa part Jean-Eric Braana.