Par leadernews; 25/06/2019
« Le patriotisme n’est pas exclusif: c’est la même chose que l’humanité. Je suis patriote parce que je suis homme et humain »
(Gandhi)
Le président Henri Konan Bédié, a rappelé à ses visiteurs du 5 juin derniers, quelques maux de notre pays. En réalité, depuis 2011, la Côte d’Ivoire, notre pays est méconnaissable et ses problèmes se multiplient. Face à des représentants PDCI venus de Koumassi, Henri Konan Bédié a dénoncé le phénomène de l’orpaillage clandestin, la distribution frauduleuse de la nationalité ivoirienne aux étrangers et l’épineuse question foncière en Côte d’Ivoire. On s’attendait à ce que ces propos aient une certaine portée, au regard du statut du président Bédié.
Cependant, la réaction disproportionnée du régime au pouvoir et de certains ivoiriens, reste toutefois étrange. On se demande si, en Côte d’Ivoire, il est possible d’aborder des sujets relatifs à l’étranger et à la nationalité sans se faire taxer de xénophobe ? Il revient à chaque ivoirien de faire son opinion sur la question, mais pour l’heure, nous voulons revenir sur les trois points abordés par le président Bédié.
En premier lieu, abordons la question de l’orpaillage clandestin en Côte d’Ivoire. Pour une bonne analyse, il est judicieux de revenir sur le potentiel du pays en matière de ressources minières. Les réserves d’or prouvées du pays sont estimées à 600 tonnes. Le potentiel en Fer est de 2,740 milliards de tonnes ; le Nickel 298 millions de tonnes, le Bauxite 1,214 milliards de tonnes, le Manganèse 7,5 millions de tonnes, la Colombo-tantalite 145 tonnes, le Diamant plus de 10 millions de carats.
L’Etat ivoirien a lancé un ambitieux plan décennal 2010-2020, dont l’objectif sera de produire industriellement 700 000 t de manganèse par an, 60 000 t de nickel, 21 t d’or, 1 million de carats de diamants, 24 millions de t de fer, 4 200 t de cobalt et 40 t de tantalite. En 2016, la production industrielle d’or était de 25 tonnes pour des réserves approuvées estimées à 600 tonnes. La Côte d’Ivoire espère atteindre, d’ici 2020, une production industrielle de 30 tonnes par an. Mais pour y arriver, le pays doit lutter contre l’orpaillage clandestin. C’est d’ailleurs, ce qui explique, en 2014, la mise en place du Programme national de rationalisation de l’orpaillage par le régime au pouvoir.
Le ministère ivoirien en charge de l’Industrie et des Mines s’était convaincu d’avoir porté un coup décisif au phénomène : 429 sites clandestins actifs sur le territoire national avaient été fermés, des centaines d’orpailleurs clandestins avaient été interpellés et des quantités importantes d’armes, de matériels d’exploitation, de produits chimiques et de stupéfiants saisies. A la fin de l’année 2016, 185 sites d’orpaillage clandestins ont été dénombrés dont 142 anciens sites recolonisés et 47 nouveaux sites. Cette activité est dangereuse pour l’économie ivoirienne, pour plusieurs raisons. Premièrement, elle conduit à la déforestation incontrôlée.
En effet, la dégradation des sols qui deviennent impropres à la consommation, la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques du fait de l’utilisation de produits chimiques interdits tels que le mercure et le cyanure. Deuxièmement, elle crée un manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Notons qu’entre 2006 et 2016, l’orpaillage clandestin a fait perdre à l’Etat ivoirien 479 milliards FCFA, soit environ 958 millions de dollars.
Troisièmement, il faut compter avec ses effets collatéraux. Pour les communautés villageoises, la conséquence immédiate est la difficulté de cohabitation avec l’afflux massif d’individus qui s’installent aux abords des villages, créant ainsi l’insécurité, la prostitution et l’économie de la drogue. Il faut également noter la pollution des rivières qui reste un danger pour les populations. De tout ce qui précède, il est remarquable de noter que le président Bédié ne fait que rappeler les problèmes à solutionner.
En second lieu, abordons la question de la distribution frauduleuse des cartes nationales d’identité Ivoirienne aux étrangers. Sur ce point, soyons très précis. Dans tous les pays, il y’a des nationaux et des étrangers, et ce n’est pas une invention du président Bédié.
Si la corruption existe dans notre pays, alors il peut exister une fraude sur la nationalité. D’ailleurs, en 2018, le porte-parole du gouvernement rappelait que sur 13 000 immigrés clandestins à destination de l’Italie détenant la carte nationale d’identité Ivoirienne, seuls 2 000 étaient réellement de nationalité Ivoirienne. C’est donc reconnaitre de façon explicite la fraude sur la nationalité ivoirienne. Il est admis que des ressortissants de pays voisins sont pris avec des cartes nationales d’identité Ivoirienne. Dans tous les pays, il existe un code de la nationalité et les étrangers peuvent devenir des nationaux s’ils remplissent les conditions exigées.
Ce n’est donc pas de la xénophobie lorsque le président Bédié aborde cette question. Rappelons que la xénophobie est une attitude d’hostilité et de discrimination à l’égard des étrangers. Elle est différente du racisme car la xénophobie est une haine des étrangers tandis que le racisme est une haine des gens de couleur différente. En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire est le pays qui détient le plus grand contingent d’étrangers. Il est donc indécent de dire que les ivoiriens sont xénophobes.
Les cartes d’identité nationales, octroyées frauduleusement aux non-nationaux en contournant la loi sur la nationalité, est le véritable crime qu’il convient de relever et de punir au lieu de déplacer le problème en avançant honteusement la question de la xénophobie.
En troisième lieu, évoquons la question de l’épineuse question foncière en Côte d’Ivoire. En Côte d’Ivoire, la terre divise et tue les ivoiriens. La situation s’est aggravée avec la rébellion de 2002 et l’invasion de nos forêts par des étrangers.
Souvenons-nous du cas Amadé Ourémi, le milicien burkinabé pro-Ouattara, à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Ce dernier a fait venir dans notre pays des convois entiers de citoyens burkinabés dans les forêts classées, villageoises, les campements, les villages et les plantations à l’Ouest, au Sud-ouest et dans la région de Bouaké. La conséquence est que les Baoulé, en ce qui concerne l’Ouest, comme leurs tuteurs autochtones Wê, sont chassés de leurs plantations et des forêts par ces hommes étranges.
On sait également qu’après la prise de pouvoir par le régime actuel, les habitants qui ont fui à Abidjan ou au Liberia pour échapper aux exactions constatent à leur retour que « ceux qui étaient armés sont devenus les nouveaux propriétaires », notamment à l’Ouest du pays. D’ailleurs l’ONG Human Rights Watch notait que des milliers de plaintes ont été déposées dans ces régions pour « dépossession de terres » liée au déplacement provoqué par le conflit postélectoral. En abordant cette question, le président Bédié voulait rappeler au régime au pouvoir, l’urgence de trouver des solutions à cette dépossession des terres.
En définitive, le président Bédié a eu les mots justes pour décrire la catastrophique situation des ivoiriens depuis 2011. En effet, les ivoiriens ne se sentent plus chez eux, comme s’ils étaient étrangers en Côte d’Ivoire. Pour nous, le président Bédié n’appelle pas à la haine de l’étranger. Les propos du président Bédié ne sont pas de nature à mettre en péril l’unité nationale. Il n’a pas insulté une ethnie, ni une région de la Côte d’Ivoire, il a seulement mis le curseur sur des faits intolérables dans toute république.
Une contribution de Prao Yao Séraphin