Il n’y a pas si longtemps, ils ont organisé les états généraux de la jeunesse. On se demande bien de quoi ils ont pu parler, au regard de la situation actuelle. En effet, alors que la ministre de l’éducation nationale a trouvé opportun de se féliciter elle-même pour la qualité et les performances de l’école ivoirienne, les élèves sont privés de cours depuis plusieurs semaines sur l’ensemble du territoire.
De la maternelle au supérieur, entre la double vacation, le passage en classe supérieure malgré des notes médiocres, les frais de scolarité parallèles, les programmes scolaires obsolètes, les enseignements de moindre qualité, les grèves des enseignants, les grèves des étudiants, les grèves des élèves, les infrastructures bancales, les syndicats violents, les Coges mafieux et les parents démissionnaires, l’école est en lambeaux.
Et pourtant, en Côte d’Ivoire, la vie suit son train-train quotidien, au calme. Ou presque. Parce que dès le 13 septembre 2018, Mamadou Koulibaly (LIDER) avait tiré la sonnette d’alarme et appelé les parties impliquées à s’asseoir et discuter. Il avait rappelé qu’il existe une institution, grassement rémunérée par les contribuables, à savoir le médiateur de la République, dont la mission est de faciliter le dialogue social dans le pays.
Comment se fait-il donc que cette instance soit incapable de réunir autour d’une table les enseignants, les parents, les élèves/étudiants et le gouvernement pour trouver une solution aux problèmes qui rongent notre système éducatif et bousillent l’avenir de nos enfants? Pourtant, le médiateur est bien vivant et est même sorti des oubliettes où il se complaît depuis sa nomination, pour participer activement aux préparations du congrès du rhdp.
Comment s’étonner que les 255 députés et 66 sénateurs ne se soient pas encore saisis de la question et n’aient pas déjà mis en place une commission d’enquête parlementaire sur le sujet, comme l’avait suggéré #MamKoul2020, alors qu’il est de notoriété publique qu’ils se préoccupent plus de leurs honorables tabourets et de leurs vénérables palabres partisans plutôt que du devenir de la jeunesse, certains considérant même la fonction de député comme étant du chômage.
Comment se fait-il que les parents paient pour un service qui n’est pas offert à leurs enfants, mais continuent sereinement de vaquer à leurs occupations, comme si de rien n’était, attendant de façon lâche et irresponsable que les politiciens, dont les enfants n’étudient pas en Côte d’Ivoire, mettent fin aux problèmes qu’ils ont sciemment créés pour abrutir la population?
Les enseignants qui réclament leurs primes sont-ils des égoïstes? À longueur de journée, on nous répète que la Côte d’Ivoire se porte bien et que l’argent travaille, on voit le champagne couler à flots et des chantiers aussi mirobolants que superflus être lancés les uns après les autres. Pourquoi attendre des enseignants qu’ils se serrent la ceinture, si l’effort n’est pas collectif?
Mais chut! 2019, c’est l’année du social, ainsi l’a décrété Alassane Dramane Ouattara. Alors on va considérer que les maisons des instituteurs parties en fumée à Kouamékro, les motos des enseignants brûlées à Bouaké, les professeurs qui défilent en toges vertes à Abidjan, les élèves et étudiants qui crient leur ras-le-bol à Daloa ou Yamoussoukro, et les parents qui enfouissent leurs têtes dans le sable sont des manifestations de ce que le président de la république entend par «année du social»: Apocalypse now! On ne peut pas dire qu’on n’était pas prévenus: c’est le même qui avait décrété 2013 année de la santé, avec pour résultat un amoncellement de morts et drames dans les hôpitaux et de désolation dans les familles.
Tant que nous choisirons de suivre:
- Celui qui nous promet une pluie de milliards et 25 nouvelles universités, plutôt que celui qui nous dit qu’il ne construira pas de nouvelles universités tant qu’il n’aura pas mis les existantes à niveau;
- Celui qui prend les armes et braque une banque, plutôt que celui qui écrit un livre et crée son entreprise;
- Celui qui fuit en sautant par-dessus le mur du voisin face au danger, plutôt que celui qui va se mettre au-devant des chars pour protéger sa population;
- Celui qui appelle au repli tribal et identitaire, plutôt que celui qui propose l’humanité et l’ouverture sur monde;
- Celui qui investit dans les routes et les ponts, plutôt que celui qui investit dans le capital humain;
- Celui qui saute dans un avion dès qu’il a mal à la dent ou au dos, plutôt que celui qui reste au pays pour se soigner au chu ou chr du coin;
- Celui qui nous offre du poisson, plutôt que celui qui nous apprend à pêcher;
- Celui qui a le plus d’argent mal acquis pour frimer, plutôt que celui qui a le meilleur programme pour sortir de la pauvreté;
- Celui qui promet la facilité, plutôt que celui qui annonce la rigueur;
alors nous aurons à payer le prix de nos choix. Les populations ont les dirigeants qu’elles méritent.
«Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime. Il est complice», disait George Orwell. Le jour où nous penserons mériter mieux que le cloaque ambiant, où nous en aurons assez de sacrifier des générations de jeunes, nous cesserons d’avoir peur, nous nous mettrons debout, nous arrêterons de nous taire et nous saurons quoi faire, pour l’amour de la Côte d’Ivoire.
Nathalie Yamb
Le titre est de la rédaction