Par leadernews, 29 juin 2019
Selon Jean-Marie Akéboué (ex-DG de l’INS), la nouvelle Carte Nationale d’Identité va coûter 15 000 FCFA en réalité.
Expert en identification, ancien directeur général de l’Institut national de la statistique (Ins), Jean-Marie Akéboué s’est confié au journal Le Nouveau Réveil.
Vous avez, par le passé, travaillé dans le domaine de l’identification, de l’enrôlement et des élections. Que pensez-vous du coût de la carte nationale d’identité voté par des députés du parlement ?
La confection de la nouvelle carte d’identité, en réalité, va coûter 15.000 fcfa à toute personne qui voudra avoir sa carte d’Identité. En réalité, elle va coûter 5.000F mais pour faire une carte d’identité, il faut te faire établir un certificat de nationalité, le prix moyen, c’est entre 2000 et 5000. Pour l’avoir, il faut un extrait de naissance ou un jugement supplétif. Et il t’en faut deux. Les timbres sont à 500 francs. Deux, cela te revient à 1.000 francs. Ajouté à cela le transport, donc au minimum, il faut avoir 15.000 francs pour avoir sa carte d’identité.
Le Pdci Rda avait-il raison de demander la gratuité de cette pièce ?
Le Pdci avait raison en demandant que cela soit gratuit. Vous avez remarqué en Côte d’Ivoire que les cartes d’identité ne se font pas de manière permanente. La carte d’identité doit être gratuite parce que c’est un acte de souveraineté.
Quand vous donnez votre nom à votre fils, vous ne demandez pas de l’aide à votre patron. Donc on ne finance pas de l’extérieur la confection de la carte d’identité, elle se fait sur le budget de l’Etat. C’est pour cela que vous avez remarqué que c’est aux approches des élections que les cartes d’identité sont confectionnées. C’est en finançant les élections qu’on profite pour faire en même temps les cartes d’identité et réduire les coûts. Donc le Pdci avait parfaitement raison.
Y a-t-il d’autres raisons qui devraient emmener le gouvernement à opter pour la gratuité de la carte d’identité ?
Autre fait, c’est qu’il y avait des problèmes dans l’identification de la Côte d’Ivoire. On sait que cette année, à cause de la conscience que le niveau international est au fait des problèmes liés à la carte d’identité, l’hebdomadaire Jeune Afrique, du jeudi 26 avril 2018, a rapporté que la Banque mondiale avait entamé des négociations avec le gouvernement ivoirien, pour le financement de nouvelles cartes d’identité biométriques avec puce. Un projet est estimé à 50 millions de dollars. Donc les bailleurs de fonds se promettaient de nous aider.
Les bailleurs de fonds se proposaient d’aider la Côte d’Ivoire parce qu’ils entrevoyaient la fraude ?
Pourquoi étaient-ils convaincus qu’il y a fraude sur l’identification ? Tous nous nous souvenons de l’intervention de l’ex porte-parole du gouvernement, Koné Bruno, en réponse de l’intervention de l’Ambassadeur d’Italie qui avait indiqué qu’il y avait 13.000 Ivoiriens qui demandaient à immigrer chez eux. Le ministre Bruno Koné avait dit que parmi ces 13.000, seuls deux mille pouvaient prétendre être des ivoiriens.
qu’en est-il des autres qui ont les pièces d’identité Ivoiriennes ? Cela veut dire que la question de la fraude sur l’identité est bel et bien réelle. Avec cela, nous avons tous appris qu’on veut instituer un registre national des personnes physiques sur financement de la Bad.
Cela va causer des problèmes avec les registres d’Etat civil qui sont uniques pour les étrangers et les Ivoiriens. Cela va amener des problèmes de complexité qui commandent que le gouvernement rassure tout le monde par la sensibilisation, par l’institution de structure qui va garantir la transparence de l’opération.
Quelles sont les conséquences de cette mesure de non gratuité de la Cni sur les élections de 2020 ?
Cela pose un problème de faisabilité. Les cartes d’identité devraient, au plus tard, être terminées dans le premier trimestre de l’année 2020. Pour permettre à la nouvelle Cei de voir tout ce qu’il lui faut. Quand on parle de liste électorale, c’est tout simplement le fichier d’identification qu’on remet à la Cei. Il en extrait les étrangers, il en extrait les Ivoiriens qui n’ont pas l’âge et il en extrait les Ivoiriens qui ont perdu leur droit civique. C’est cela la liste électorale.
Le chiffre que nous avons commande qu’une opération spéciale se fasse au lieu de faire une identification comme si on était en période normale. L’opération spéciale, c’est d’organiser des audiences foraines sans que les populations se déplacent, c’est les juges qui sont à leur disposition et cela réduit les délais et en ce moment, la production de la carte d’identité n’est liée qu’à la capacité des machines dont nous disposons. Si on fait autrement, c’est prendre beaucoup trop de risques par rapport au délai des élections de 2020.
Qu’en est-il de la crédibilité de l’opérateur qui a été désigné pour cette opération ?
Moi, je ne pense que le gouvernement peut se permettre de prendre un opérateur qui ne soit pas crédible. Mais le problème, c’est la réalisation même de l’opération. Parce qu’on ne peut pas dire à un paysan qui est dans son village ou son campement de venir en ville débourser 15.000 francs pour se faire établir une carte d’identité.
Seuls ceux qui en ont fait un objectif politique pour leurs militants et pour des ambitions électoralistes qui peuvent en donner les raisons. C’est seulement une opération spéciale qui peut permettre de tenir dans des délais acceptables.
Que doivent faire les partis d’opposition ?
C’est la Charte africaine des droits de l’homme qui demande que tous ceux qui ont le droit d’être sur la liste électorale qui doivent avoir la capacité de discuter. Et même la déclaration de Bamako du 03 novembre 2012 indique qu’il y ait un consensus politique, ça veut dire que tous les gouvernants s’asseyent avec les partis politiques et la société civile pour organiser l’opération.
Et je pense que tout est réuni pour que le gouvernement, les partis politiques, et la société civile travaillent ensemble pour un consensus politique, pour rassurer les Ivoiriens que leurs cartes d’identité ne sont données qu’aux Ivoiriens. Cela demande de la transparence.
6 millions d’Ivoiriens ont leurs cartes d’identité qui arrivent à expiration. Il faut les refaire. Et il y a 6 millions de nouveaux majeurs à qui il faut donner de nouvelles cartes d’identité. Cela fait 12 millions d’acquéreurs. Que faire pour tenir les délais ?
La France qui est un pays démocratique, pour faire face aux élections et pour tenir dans les délais, a pris un décret pour proroger la validité des cartes d’identité qui existent. Avec cette mesure, déjà, on réduit de moitié le volume de production des cartes d’identité. Et donc c’est pour ces 6 millions qu’il faut réunir les conditions de transparence, et dans une opération spéciale, on se donne toutes les chances pour tenir dans le délai.
Interview réalisée
DIARRASSOUBA SORY et JEAN PRISCA